
2 juin 2025
Nom d’esclave, mémoire vivante
Le poids d’un nom : l’héritage invisible des anciens esclaves
Que cache un nom de famille ? Dans les anciennes colonies françaises, à l’abolition de l’esclavage en 1848, des milliers de personnes ont reçu des noms à la hâte — parfois grotesques, moqueurs, humiliants. Derrière ces noms se cache une mémoire douloureuse, souvent silencieuse. Voici le récit touchant de Léo, un homme d’aujourd’hui, qui découvre l’histoire cachée de son nom de famille lors d’une constellation familiale… et transforme un héritage de honte en source de réconciliation.
1. La blessure invisible
Lorsque Léo poussa la porte du cabinet de constellations familiales, il était loin d’imaginer ce qu’il allait découvrir. Il était venu pour comprendre une fatigue latente, une tristesse ancienne, qui ne semblait pas lui appartenir. « Peut-être que ce n’est pas à moi », avait-il dit à la praticienne. Elle avait souri doucement, comme si elle savait déjà.
Assis en cercle avec d’autres participants, il avait posé sa question sans grande conviction : « Pourquoi ai-je honte de mon nom ? Pourquoi ai-je si peur d’être vu ? »
Ce nom, c’était Grosnez. Il le portait comme une blague amère, depuis toujours. À l’école, on riait. « Monsieur Grosnez ! », les profs ricanaient parfois. Il répondait par des sourires polis, des pirouettes, des blagues défensives. Mais au fond, il ressentait une honte, une rage sourde.
Ce jour-là, dans ce cabinet, tout allait remonter à la surface.
2. Le silence des ancêtres
En Martinique, en 1848, l’esclavage fut aboli. Il fallut des semaines aux officiers d’état civil pour enregistrer les milliers de personnes enfin libres. Jusque-là, les esclaves n’avaient qu’un prénom : Zandor, Céleste, Jacob, Malika. Pas de nom de famille. Ce fût une liberté de papier, fragile, imparfaite.
Là, dans les petites mairies surchauffées, des fonctionnaires, souvent peu empathiques, parfois moqueurs, inscrivaient des noms sans y penser. Parfois des mots grotesques, ridicules, humiliants. Grosnez fut l’un d’eux. L’officier avait éclaté de rire en regardant le vieil homme noir, maigre, au nez proéminent.
« Toi, tu t’appelleras Grosnez. Va, t’es libre maintenant ! »
Et Zandor devint Zandor Grosnez. Il avait baissé les yeux, pris le papier et été inscrit ainsi dans l’histoire. Sans voix.
3. Zandor
Zandor était né sur la plantation La Ravine-Plate, près de Saint-Joseph. Il n’avait jamais connu son père. Sa mère, Liane, était morte des suites d’une mise au cachot. Toute sa vie d’homme avait été marquée par le silence et la résignation. Mais l’abolition avait fait naître en lui un étrange espoir. Il ne comprenait pas tout, mais il savait que le monde changeait.
Il avait choisi de rester sur l’île. Il travaillait pour un maigre salaire, logé dans une case à peine digne. Mais libre. Il s’était marié avec Ysoline, une autre affranchie. Ils eurent cinq enfants. Le nom Grosnez, ils ne le prononçaient jamais avec joie. Mais il était devenu un signe de reconnaissance. Une trace. Une mémoire.
4. Les fils invisibles
Léo regardait la constellation familiale se dérouler devant ses yeux, abasourdi. Elle lui racontait l’histoire de Zandor. Léo eut les larmes aux yeux. Il comprenait soudain pourquoi il se sentait toujours à côté. Pourquoi il portait en lui une honte sans raison. Ce n’était pas sa honte. C’était celle de Zandor, de son grand-père d’avant, de tous les invisibles.
Il vit, dans la constellation, un homme debout, fier, avec un papier froissé dans la main. Il léguait ce nom, comme un fardeau mais aussi comme un fil. Un fil de mémoire.
5. L’héritage conscient
En sortant de la séance, Léo se sentit étrangement léger. Le nom Grosnez sonnait différemment. Non plus comme une blague. Mais comme un cri. Une réclamation d’humanité. Il ne voulait plus avoir honte.
Il commença à raconter cette histoire. À ses enfants. À ses collègues. Sur les réseaux sociaux. Il y invita d’autres porteurs de noms blessés. Et les récits affluèrent : Pileface, Vilain, Couillaud, Tristesse, Café, Chocolat, Sanspère…
Léo comprit que ce n’était pas juste son histoire. C’était celle de milliers de descendants, en Guadeloupe, à la Réunion, en Guyane, en Martinique. Des histoires de noms donnés à la va-vite, parfois avec cruauté, souvent sans respect.
6. Un nom, une réconciliation
Trois ans plus tard, Léo changea légalement son nom en Léo Zandor-Grosnez. Il voulait honorer l’homme d’avant. Rendre visible l’invisible.
Dans les écoles, on le fit venir. Il expliquait aux enfants comment les noms portent des histoires. Comment les silences traversent les générations. Comment on peut choisir de regarder, de guérir, de transformer.
7. Pour que vive la mémoire
Léo retourna en Martinique. Il alla sur l’ancienne habitation. Rien ne restait, sinon un grand fromager et des ruines. Il s’assit au pied de l’arbre et posa une petite plaque : « Zandor, homme debout. Merci. »
Il pleura longtemps. Non pas de tristesse, mais de reconnaissance. Il avait reçu un nom blessé. Il en avait fait un nom vivant.
Et ce jour-là, il sut que l’histoire de Zandor ne s’éteindrait jamais. Elle circulerait, libre, comme lui, comme eux.
Et vous, que porte votre nom ?
Nos noms nous racontent. Ils transmettent des histoires, parfois blessées, souvent oubliées. Ce récit est une invitation à interroger nos racines, à accueillir nos mémoires familiales, à guérir ce qui a été tu. Si vous portez un nom « bizarre », « moqué » ou chargé d’histoire, sachez : vous n’êtes pas seul.e.
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Crédits photo : Pixabay – Redleaf_Lodi
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